26 Mai 2013
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Premier roman d’Agatha Christie, La mystérieuse affaire de Styles montre d’emblée combien le personnage de Sherlock Holmes a inspiré la romancière anglaise. Elle reprend un binôme en tout point semblable : un détective hors pair et un assistant qui fait office de narrateur. D’ailleurs, l’auteur ne s’en cache pas. Lorsqu’on demande à Hastings, en permission après une blessure, s’il redeviendra employé de banque après la grande guerre, il dit qu’il aimerait bien être un détective, « Sherlock Holmes, sans aucune hésitation !», et raconte qu’il a d’ailleurs rencontré en Belgique un célèbre inspecteur d’une intelligence hallucinante. C’est ainsi que notre Hercule Poirot est pour la première fois évoqué, dans le premier chapitre du premier livre de Christie.
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L’affaire de Styles se déroule en toute fin de première guerre mondiale. Hastings, rapatrié suite à une blessure, est invité à retourner à Styles où il avait déjà séjourné pendant son enfance. Madame Emily Inglethorp est au centre de l’intrigue. Elle tenait les cordons de la bourse si bien que ses beaux fils, John et Lawrence Cavendish, dépendaient financièrement d’elle et vivaient à Styles. Comble du comble, elle a épousé Alfred Inglethorp, qui semble profiter d’elle et que tout le monde déteste ostensiblement. Evelyn Howard , la gouvernante, a d’ailleurs décider de partir.
Ce qui va suivre dévoile une bonne partie de l’intrigue. Cela ne représente que les 6 premiers chapitres du livre mais la mise en ordre des faits peut aider davantage que la simple lecture de ces chapitres.
LES FAITS :
5 juillet : arrivée d’Hastings à Styles
6 juillet : la gouvernante Evelyn Howard démissionne, ne supportant plus l’attitude de M. Inglethorp. Elle demande à Hastings de bien veiller sur Mme Inglethorp. Tout le monde en veut à son argent, et en particuliers Alfred Inglethorp.
17 juillet, la veille du décès :
- La femme de ménage, Dorcas, a également entendu une dispute, vers 16h, d’une grande intensité, entre M. et Mme Inglethorp. Vous m’avez menti et vous m’avez trompé, disait Mme Inglethorp. Vous me devez tout. J’y vois clair à présent.
- A 16h passées, Mme Inglethorp a appelé les jardiniers pourqu’ils lui ramènent une feuille de papier timbrée, puis leur à fait contresigner ce papier, probablement un testament
- A 17h, Dorcas croise Mme Inglethorn, bouleversée avec une feuille à la main, avec l’air de ne pas en croire ses yeux. Ne faites jamais confiance à un homme Dorcas !
- Alors qu’il s’appretait à jouer un tennis avec Cynthia, Hastings surprend une altercation entre Mary et madame Inglethorp. Cette dernière refusait de montrer à Mary un document.
- Le repas du soir est glacial. Mme Inglethorp ne s’éternise pas et par dans sa chambre des la fin du repas en emportant une tasse de café dans sa chambre. C’était Mary qui avait servi tout le monde en café. Seul Alfred n’a pas bu de café.
- 19h15 dépôt du cacao par une femme de menage sur la table du couloir. A 20h, elle recupere le plateau, le nettoie du gros sel qu’elle trouve sur le plateau, et le dépose dans la chambre de Mme Inglethorp. Il n’y avait alors pas de tache de bougie sur le sol.
- Dr Bauerstein passe rendre visite. Dans un sale état, il explique être tombé dans une mare. Il finira par repartir, accompagné de M. Inglethorp qui dit avoir affaire.
18 juillet : à 5 heures du matin, Mme Inglethorp fait une crise, reveillant Lawrence, John et Mary Cavendish. La chambre de Mme Inglethorp comportait trois portes, l’une donnant sur le couloir les deux autres donnant sur les chambres d’Alfred et de Cynthia. John tenta d’entrer dans la chambre par le couloir, puis par la porte de la chambre M. Inglethorp (qui n’était apparemment pas rentré), mais les portes étaient fermées de l’intérieur. Il tenta alors de passer par la porte de la chambre de Cynthia, que Mary venait juste de réveiller. La porte est également verrouillée. John finit par défoncer la moins solide des portes celle de M. Inglethorp. Mme Inglethorp convulsait et s’en voulait de s’être enfermée. Lawrence était livide comme s’il avait vu quelque chose. Le docteur Bauerstein, qui passait par hasard, apparut. Soudain une nouvelle crise emporte Mme Inglethorp après avoir crié : Alfred Alfred !
INDICES DECOUVERTS PAR POIROT DANS LA CHAMBRE DE LA VICTIME :
- Sur un plateau, un réchaud à alcool surmonté d’une casserole avec au fond une boisson au chocolat parfumée au rhum, ainsi qu’une tasse sale. Mais le chocolat n’aurait pu masquer le gout amer de la strychnine et les analyses révèleront que le chocolat restant n’en contenait pas.
- Au sol une tasse de café réduite en miette, ainsi qu’une tache de café toute fraiche sur la moquette. Mais si Mme Inglethorp avait bu son café à 20h, elle en aurait ressenti les effets bien plus tôt, ou alors il faudrait un retardant particulièrement efficace. La tasse de café brisée empêche de faire la moindre analyse
- Une boite de somnifère en poudre à base de bromure, vide depuis deux jours, trouvée dans un tiroir, habituellement préparée par Cynthia
- De la cire de bougie au sol , un bout de tissu vert dans la serrure de la porte menant à la chambre de Cynthia, une mallette violette fermée à clef, des clefs au sol (la mallette sera forcée probablement par le meurtrier peu après le passage de Poirot). Dans la cheminée, ce qui ressemble à un testament qu’on aurait brulé récemment.
Poirot ne croit pas en la culpabilité d’Alfred, et s’intéresse davantage au café qu’au chocolat malgré la présence de sel. Il est intrigué lorsque Cynthia lui apprend qu’elle ne sucre jamais son café ainsi que par le nombre de tasses de café.
LES SUSPECTS :
Alfred Inglethorp, le nouveau mari, antipathique, détesté de tous, est le principal accusé. Vague parent de la gouvernante , il a su séduire la veuve malgré la différence d’âge. De par le dernier testament datant d’avant le mariage, ce n’est plus John mais Alfred qui hérite de la défunte. Il n’a pas fait preuve d’émotion à la mort de son épouse, a lui-même remplit la tasse de café de son épouse et s’est absenté la nuit de l’empoisonnement. Et on l’a vu acheter de la strychnine la veille soit disant pour empoisonner un chien. Alfred nie les faits mais n’est pas en mesure de dire où il se trouvait s’il n’était pas à la pharmacie. Sans compter que les derniers mots de la victime furent « Alfred ! Alfred ! ». Autant dire que tout l’accuse. Tout le monde croit en sa culpabilité, sauf Hercule Poirot bien sûr … | |
John Cavendish : marié depuis 2 ans, John vit à Styles avec sa femme Mary grâce à la générosité de Madame Inglethorp, belle-mère de John. Il aurait bien aimé ne plus dépendre d’elle financièrement ce qui en fait un mobile sérieux. John a mis entre parenthèses sa carrière d’avocat. Certain le soupçonne d'avoir une liaison avec Mme Raikes ou Mlle Murdoch. | |
Mary Cavendish : épouse de John Cavendish, elle travaille à la ferme. Malgré les apparences son couple semble affronter des difficultés. Mary, la jolie épouse, aurait-elle une liaison avec le docteur Bauerstein. Et pourquoi s’est-elle fachée avec la victime la veille du meurtre ? | |
Lawrence Cavendish : petit frère de John, il vit également grâce à la générosité de sa belle mère. Il était blême lors du décès. Timide et effacé, il défend pourtant vigoureusement, malgré des études de médecine la thèse peu vraisemblable de l’accident cardiaque et argue que l’accident pourrait être du au fortifiant à base de strychnine que Mme Inglethorp prenait régulièrement.. | |
Le docteur Bauerstein : en cure au village, il se trouvait comme par hasard sur les lieux lors du déces. Spécialiste des poisons(hum hum !), il est le premier à suspecter un empoisonnement. Il est également très (trop ?) proche de Mary Cavendish. | |
Cynthia Murdoch : protégée de Mme Inglethorp, orpheline, la jeune Cynthia travaille comme infirmière au laboratoire de l’hôpital et vit à Styles depuis 2 ans. Sa chambre est voisine de celle de Mme Inglethorp, mais elle dormait d’un sommeil profond lors du déces et n’a étrangement rien entendu. Au laboratoire se trouve une armoire aux poisons. C’est Cynthia qui préparait le somnifère à base de bromure que Mme Inglethorp prenait régulièrement. | |
Evelyn Howard : dame de compagnie dévouée de Mme Inglethorp depuis de nombreuses années, elle a quitté les lieux bien avant le crime, ne pouvant plus supporter la présence d’Alfred Inglethorp qu’elle sait interessé par l’argent de Madame. C'est la première à avertir Hastings du risque qu'encourt Mme Inglethorp. | |
Mme Raikes : jeune et jolie fermière bohémienne, soupçonnée d’avoir une aventure avec M. Inglethorp, mais aussi avec John Cavendish. | |
LA SOLUTION A L'ENIGME (SPOILER : mettre en surbrillance pour afficher)
Pour son premier roman, Agatha Christie fait déja preuve d'une diabolique malice, nous roulant dans la farine en déjouant les codes du genre. Comme dans tout bon polar, on se doute bien que M. Inglethorp, désigné dès le départ comme coupable par tout le monde y compris par Hastings, n'est pas le vrai coupable, d'autant que Poirot donne l'impression de ne pas y croire. Et pourtant il s'agit bien du coupable, avec la complicité d'Evelyn Howard !!!
Pour tuer Mme Inglethorp, le couple machiavélique va adjoindre dans le fortifiant à la strychnine une pincée de somnifère au bromure, provoquant un précipité de strychnine dont la concentration est mortelle. Ainsi, ni le café ni le chocolat n'étaient à l'origine de la mort. Evelyn s'était faite passer pour Alfred à la pharmacie, sachant très bien qu'Alfred aurait les alibis pour faire tomber l'accusation et ne plus être jugé une seconde fois. Mais ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est que Mme Inglethorp, en cherchant un timbre pour son nouveau testament, allait tomber sur un courrier compromettant, d'où son bouleversement à 17h, la veille de sa mort. Alfred devra donc forcer la mallette pour récupérer le document compromettant et le cacher sur la cheminée faute de mieux.
C'était une erreur de penser que quelqu'un avait brulé le testament de la morte. Si celle-ci avait demandé qu'on allume un feu en plein été, c'est qu'elle souhaitait bruler le testament. Ce testament, elle voulait le changer car elle avait appris la liaison qu'entretenait M. Cavendish avec Mme Raikes. Mais sa colère contre John Cavendish à 16h ne sera rien comparé au choc lorsqu'elle découvrira une heure après les intentions de son mari.
Enfin, Mary Cavendish a pas mal troublé l'enquète. Elle dit avoir entendu un bruit sourd mais ne pouvait pas avoir entendu quelque chose de sa chambre. La veille à 16h, elle avait entendu la dispute entre Mme Inglethorp et ... John Cavendish (et non pas Alfred) concernant sa liaison avec Mme Raikes. Elle a cru ensuite à tort que la lettre entre les mains de Mme Inglethorp était la preuve de l'infidélité de M. Cavendish et a élaboré un plan pour se le procurer. Elle décide de mettre un somnifère dans le café de Cynthia et de Mme Inglethorp et pénètre dans la chambre. Quand elle voit la victime prise de convulsions, elle est paniquée et quitte précipitemment la chambre en laissant malencontreusement un bout de tissu. Elle s'empresse alors de reveiller Cynthia, mais elle pense alors que c'est son somnifère qui est responsable de la mort. Elle va donc cacher la tasse qu'a bu Cynthia (d'où la tasse manquante, celle au café non sucré).
Lawrence Cavendish était quant à lui secrètement amoureux de Cynthia. Lorsqu'il voit sa belle mère en train de rendre l'ame, son attention se porte sur le verrou de la porte de Cynthia qu'il voit ouvert. Il blémit, la croyant coupable. C'est donc lui qui écrase du pied la tasse de café. Et c'est également pour cette raison qu'il a défendu contre toute vraisemblance la thèse du simple accident, dévoilant sans le savoir ce qui va tuer sa belle-mère, le fortifiant à la strychnine.
Il y a forcément une certaine frustration lors du dénouement. Hercule poirot nous ayant menti, on se sent un peu floué. Pour nous, il ne faisait aucun doute que le suspect principal ne figurait pas parmi les suspects réels. Par ailleurs, on se rend compte qu'il fallait des notions solides en poison pour pouvoir dénouer la cause du meurtre. Pourtant un petit passage sur wikipedia nous aurait permi de voir que la strychnine n'est un poison qu'à forte dose. Et la relecture du livre nous permet de voir toute l'habile construction de l'auteur.